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  Qu’est-ce que la terminologie ?
vendredi 10 novembre 2006


Entretien avec Loïc Depecker, président de la Société française de terminologie et secrétaire général de Realiter (Réseau panlatin de terminologie) et professeur de linguistique et de terminologie à l’université Paris III.


-  Comment définir la terminologie ?

La terminologie est consacrée au vocabulaire scientifique et technique et à leur mise en forme dans les discours techniques. L’idée est d’essayer de gérer, d’ordonner, de traiter des masses d’unités terminologiques. On essaie de viser une cohérence de ces vocabulaires, de se retrouver notamment dans les synonymes ou dans les définitions. On définit les concepts pour parvenir, d’une langue à l’autre, à décrire les mêmes choses avec des termes dont on est sûr qu’ils décrivent les mêmes objets.

Aujourd’hui la terminologie est au cœur de plusieurs disciplines, notamment les disciplines documentaires. La terminologie se retrouve également dans la rédaction technique, la rédaction de documentation et de manuels d’emploi, la traduction automatique puis dans tout ce qu’on appelle aujourd’hui l’ingénierie de la connaissance et les ontologies.

L’ontologie peut concerner tout ce qu’une entreprise gère comme objets : un produit, un composant, un service de l’entreprise, une unité de mesure ou une unité monétaire. A l’heure de la mondialisation, les entreprises sont souvent constituées de multiples structures éparpillées dans le monde avec de multiples activités. Il faut donc s’assurer que chacun met les mêmes choses derrière les mêmes termes.


-  Quels sont les lieux qui permettent le dialogue entre les terminologues et les industriels ?

Les lieux sont assez restreints parce qu’il faut que les terminologues, les sémanticiens entrent en contact avec le monde industriel. Il faut aussi que le monde industriel considère que sa problématique est d’ordre linguistique et sémantique. L’un des lieux principaux est d’abord les réponses aux appels d’offre. On voit se constituer des consortiums parfois assez originaux.

Puis il y a les organismes de normalisation des objets techniques, où doivent être faites des descriptions d’objets à partir de symboles. Je pense aussi aux marchés de la traduction qui sont aujourd’hui des marchés spécialisés pour la vente et la commercialisation de produits. Enfin, il y a les laboratoires de recherche qui travaillent sur la communication des nouveaux concepts, des nouveaux processus.


-  Vous êtes dans le comité technique de terminologie de l’AFNOR. Est-ce qu’il y a une normalisation des protocoles de création d’outils terminologiques ?

Il existe un comité technique, le TC37, qui est chargé de la normalisation de la méthodologie en terminologie. On ne cherche pas à normaliser des terminologies, mais à normaliser une méthodologie. Cela signifie par exemple : « comment organiser dans une base de données des champs d’information, qui permettent de décrire des concepts dans les différents langues du monde ? », « qu’est-ce qu’un synonyme ? », « qu’est-ce qu’une définition ? », « qu’est-ce qu’une arborescence ? » ou tout simplement ( !) « qu’est-ce qu’un concept ? ».

Tous les pays du monde n’ont pas toujours la même approche. Avec l’ISO, l’idée est ici justement de créer un corpus de normes, de méthodologies du travail en terminologie, qui s’applique à toutes les langues. Cela fonctionne relativement bien ; on le voit fonctionner notamment dans différentes entreprises. En effet, un certain nombre de professionnels considèrent de plus en plus qu’une partie des problèmes qu’ils peuvent rencontrer dans l’organisation d’une entreprise sont de type linguistique. Et, dans les hôpitaux par exemple, il y a la manière de décrire les différentes maladies, de les appeler et de leur donner un statut de façon à protéger aussi bien les patients pour des questions de sécurité que les praticiens pour des raisons d’assurance et de sécurité dans leur travail. Il y a donc derrière tout cela un ensemble d’enjeux.

L’autre idée du comité est d’essayer de faire en sorte que le résultat du traitement des données puisse s’échanger entre machines. Il y a notamment les formats d’échange de données, qui permettent des échanges plus faciles entre machine sans avoir besoin d’intervention informatique lourde. C’est aussi l’intérêt des utilisateurs qui peuvent alors travailler seuls. L’enjeu est donc important.


-  On voit bien que la terminologie est plutôt orientée industrie de la langue ou ingénierie linguistique. Est-ce qu’il y a, dans les universités, des applications concrètes sur la diffusion de produits terminologiques ?

Il commence à y avoir aujourd’hui des universités, qui s’occupent de diffuser des glossaires de terminologie. Les universités Paris 3, Paris 7 et Rennes 2 ont été pionnières en la matière. Il y a un grand intérêt pédagogique, car cela dynamise l’enseignement orienté vers la traduction spécialisée en donnant la possibilité aux étudiants de voir leur travail reconnu et diffusé sur internet. Au-delà il faut bien voir que ce sont des matériaux de travail en terminologie, en traduction et qu’il faut les prendre, comme tout matériau qu’on trouve sur Internet, avec beaucoup de précaution.


-  Comment peut-on avoir une instance de validation sur les glossaires de terminologie en ligne ?

Je constate que se développent des outils d’ingénierie linguistique autour de cette question. Le plus souvent l’autorité de l’organisme émetteur est très importante. Je pense notamment à tous les travaux de terminologie et de traduction spécialisée, qui sont faits dans les organisations internationales, que ce soit à la Commission européenne, à l’ONU ou dans d’autres institutions. Il y a là des traducteurs et des spécialistes très performants sur ces questions. Les bases de données y sont relativement bien faites et elles sont expertisées et mises à jour au fil des années.

La recommandation que je ferais pour un traducteur, un rédacteur technique ou un documentaliste, qui chercherait des données terminologiques fiables sur Internet, c’est déjà de regarder l’estampille de l’organisme qui diffuse ces données. C’est l’autorité de l’organisme émetteur, qui fait en priorité la qualité du matériau terminologique. Et si ce matériau n’est pas bon, au moins il est estampillé !


-  On a l’impression qu’actuellement la terminologie se situe un peu entre deux approches, philosophique et linguistique. Qu’en pensez-vous ?

La terminologie est en effet au confluent de plusieurs disciplines qui se rencontrent et c’est ce qui fait la richesse aujourd’hui de la terminologie. C’est vrai que des unités terminologiques sont d’ordre linguistique. C’est vrai aussi que la terminologie traite de concepts, puisque, pour éviter le piège des langues, on essaie d’avoir un dénominateur commun qui sert de pivot entre toutes les langues.

Et puis, avec la terminologie, on est aussi au confluent de l’ingénierie linguistique. Pour mettre en forme des données dans des systèmes informatiques, il faut pouvoir traiter les données d’une façon cohérente et logique. On est ainsi entre linguistique, philosophie, logique, informatique, et on pourrait aller plus loin en sociolinguistique, puisque les unités linguistiques varient en contexte, en situation, etc.

La terminologie est parfois théorique et essaie de prendre à chaque discipline ce qui lui bénéficie. Je pense que toutes les études actuelles sont le symptôme d’une fabrication d’une théorie de la terminologie, qui dépasse toute théorie linguistique.


-  Sur quoi bute la terminologie ?

Je pense qu’elle bute essentiellement sur la gestion de masses énormes d’unités. Prenons par exemple ce qui se fait dans les sciences de la vie, notamment en biodiversité. La biodiversité veut essayer de préserver la diversité biologique de la planète. Cela signifie qu’il faut gérer des millions d’objets, des êtres vivants, des minéraux, des plantes, tout en pensant que ces millions d’objets ont eux-mêmes des dizaines, voire des centaines d’appellations, soit dans une langue, soit dans une autre.

Aujourd’hui, on se pose la question de savoir comment on va gérer l’ensemble des objets qu’on va décrire. Je pense notamment à l’exemple des poissons : il y a une très belle base, FishBase, qui est la base de nomenclature des poissons que l’on connaît sur la planète ; tous les poissons ne sont pas encore décrits, mais on voit bien la masse d’unités terminologiques. Cela pose des problèmes extraordinaires en terme de science pure, de gestion de l’information et de gestion des langues.

Les autres grands problèmes sont en passe d’être résolus. Je pense notamment à la traduction automatique qui a fait beaucoup de progrès. Mais pour alimenter ces systèmes de traduction automatique, il faudra forcément avoir des termes et des unités terminologiques, qui soient décrites en contexte puisqu’on est face à des textes hétérogènes émis par des organismes différents. Tout traducteur sait que le sens dépend du contexte et non d’un absolu terminologique.

Il y a donc là des enjeux de description d’unités terminologiques en contexte, qui forment des données immenses. On n’est plus simplement sur des bases de données de termes ; on est sur des bases textuelles qu’il faudrait relier les unes aux autres pour savoir exactement comment on peut traduire telle unité terminologique d’une langue dans tel texte, par une autre unité terminologique d’une autre langue dans tel autre texte. Il commence à y avoir des systèmes, mais cela demande une gestion énorme et surtout un financement considérable.


-  Quelles sont les perspectives de la terminologie ?

Je pense que le grand enjeu actuel est celui de la théorie de la terminologie. La théorie de la terminologie est prise entre deux postulats : d’une part une terminologie conceptuelle fabriquée dans l’absolu par les terminologues et d’autre part une terminologie contextuelle qu’on observe quand on exploite les textes de façon automatisée. Une des perspectives sera donc certainement de rapprocher terminologie conceptuelle et terminologie contextuelle.


-  Vous êtes président de la Société française de terminologie. Quel est son rôle ?

En 1999, nous avons créé avec quelques amis la Société française de terminologie. Nous tentons de rassembler les spécialistes, et plus largement toute personne qui s’intéresse aux questions de terminologie et de traduction de langue française. Elle s’étend à présent à plus d’une centaine d’adhérents, et nous comptons des adhérents francophones, du Canada et d’ailleurs. Des entreprises, comme l’AFNOR, adhèrent à la Société française de terminologie.

Notre action est de relier les personnes isolées sur ces questions, qui ne savent pas à qui s’adresser. On essaie d’aider les gens sur le terrain, à créer leur propre projet terminologique et à résoudre eux-mêmes leurs problèmes. Je pense à un projet qu’on a avec un réseau d’hôpitaux en France. Il faut créer une terminologie de la sécurité à l’hôpital en essayant de gérer des terminologies, des concepts d’ordre médical et juridique de façon à aboutir à des normes. Elles seront ensuite partagées par l’ensemble de la communauté française dans ce domaine.

On a d’autres projets comme en sciences de la vie, où beaucoup de problématiques sont soulevées du côté des vétérinaires, des biologistes, des gens qui s’occupent de sécurité alimentaire. On voit à partir des crises qu’on a vécues ces dernières années, que celles-ci sont souvent mal « digérées » par le public, en tous cas en terme de communication terminologique. « Qu’est-ce qu’un OGM ? » : c’est un organisme génétiquement manipulé ou modifié ? Tout développement linguistique induit des réactions dans l’opinion, des prises de position. Dire « manipulé » ou dire « modifié » n’a pas le même sens. Il y a donc là un ensemble de choses qu’il faut prendre en considération pour essayer de faire passer le mieux possible le message dans le public. On a ainsi le cas de l’anthrax. Le terme « anthrax » en anglais n’a pas du tout le même sens qu’en français. Il faut bien savoir quelle action de communication on fait. L’anthrax, développé aux Etats-Unis lors des attentats biologiques, est un anthrax basé sur un bacille dont on peut se défaire très difficilement, et pas un simple furoncle.

Il y a là un ensemble d’enjeux que la Société française de terminologie ne peut pas tous résoudre, mais sur lesquels elle peut au moins essayer d’alerter.

Propos recueillis par Marie-Noëlle Rohart
Pour le laboratoire CRIS - Université Paris X
Printemps 2004


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